Parachute sur drones : quand la norme ASTM F3322-18 se heurte à la réalité du terrain
- Frédéric Aroco
- 16 oct.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 oct.

Faut-il parfois préférer la coupure moteurs sans parachute ?
La promesse du parachute… et la réalité physique
Depuis l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2019/947, les systèmes de sécurité tels que les parachutes certifiés sont devenus des éléments clés pour voler en catégorie spécifique (STS-01 / STS-02). L’objectif est clair : réduire l’énergie d’impact en cas de défaillance, afin de protéger les tiers et de maintenir le risque au-dessous des seuils acceptables définis par l’EASA.
Sur le papier, tout semble cohérent. Mais sur le terrain, les chiffres racontent une autre histoire.
Prenons un DJI Mavic 3 Pro équipé d’un parachute Dronavia testé à 43 km/h de vent latéral :
Depuis 60 m de hauteur, la dérive mesurée est d’environ 270 m ;
Depuis 120 m, elle atteint 540 m.
La vitesse moyenne de descente observée est de 2,6 à 2,7 m/s ;
L’énergie d’impact au sol reste de 69 joules.
Cela signifie que même un parachute certifié ne garantit pas un impact “inoffensif” : 69 J, c’est suffisant pour causer des blessures graves sur un tiers non protégé.
Comprendre la norme ASTM F3322-18 (parachute)
Pour bien saisir la situation, il faut comprendre ce qu’est réellement la norme ASTM F3322-18. C’est la norme de référence internationale (élaborée aux États-Unis) utilisée par l’EASA et la FAA pour certifier les systèmes de parachutes pour drones.
Elle définit :
Les méthodes d’essai : le parachute doit démontrer sa capacité à se déployer en moins de 0,5 seconde, à une altitude minimale donnée.
Les paramètres de performance : vitesse de descente maximale autorisée (généralement ≤ 5 m/s selon la masse du drone).
Les exigences de fiabilité : taux de succès supérieur à 99 % lors des essais (aucun déploiement raté ou emmêlement).
Et surtout : la mesure de l’énergie d’impact résiduelle.
Le problème ? La norme ne prend pas en compte la dérive horizontale causée par le vent ! Les tests ASTM se font dans un environnement quasi-neutre, sans vent significatif. Or, sur le terrain, cette variable devient le facteur dominant du risque résiduel.
Ainsi, un parachute peut être certifié ASTM F3322-18, parfaitement conforme, et pourtant dériver de plusieurs centaines de mètres dans un vent réel — comme dans notre cas : 270 m à 60 m, 540 m à 120 m avec 43 km/h.
Réglementation européenne : STS-01 et la “zone tampon”
L’Appendice I du Règlement (UE) 2019/947, paragraphe UAS.STS-01.020 – C, stipule que :
“Le pilote à distance s’assure qu’aucune personne non impliquée n’entre dans la zone tampon entourant la zone opérationnelle”
Cette zone tampon (safety buffer) doit absorber les risques résiduels d’impact. Autrement dit, elle est censée couvrir la totalité de la trajectoire de chute.
Mais si la chute sous parachute entraîne une dérive latérale de 540 m, il faudrait une zone tampon de plus d’un demi-kilomètre de rayon ! Ce n’est ni réaliste ni applicable en environnement urbain, ni même sur de nombreux sites industriels.
On se retrouve donc avec une incohérence structurelle :
la norme impose un parachute ;
la réglementation impose l’absence de tiers ;
mais la physique impose… la dérive.
Retour au bon sens : la coupure moteurs sans parachute
Avant la réglementation européenne, le scénario S3 français avait un principe simple et efficace :
Le pilote devait s’assurer qu’aucun tiers ne se trouvait dans la zone d’exclusion.
En cas de panne critique, il pouvait couper les moteurs, provoquant une chute verticale, maîtrisée dans cette zone.
Résultat :
Peu de dérive (chute quasi à la verticale).
Zone d’impact prévisible.
Énergie d’impact supérieure… mais dans une zone vide.
Aujourd’hui, avec un parachute, on ralentit la chute, mais on augmente considérablement la zone d’impact — donc la probabilité qu’un tiers se retrouve dans la trajectoire dérivée.
Ce qui amène la vraie question :
“Dans une zone tampon strictement dégagée, ne vaudrait-il pas mieux couper les moteurs sans parachute pour garantir une chute verticale maîtrisée, plutôt que de laisser un parachute dériver sur plusieurs centaines de mètres ?”
Évaluation du risque : un équilibre entre énergie et dispersion
Hauteur | Vent latéral | Dérive estimée | Vitesse de chute | Énergie d’impact | Risque principal |
60 m | 43 km/h | ≈ 270 m | ≈ 2,65 m/s | 69 J | Zone tampon insuffisante |
120 m | 43 km/h | ≈ 540 m | ≈ 2,65 m/s | 69 J | Dérive hors zone exclue |
Ce tableau illustre que le parachute réduit la vitesse verticale, mais augmente massivement la dispersion horizontale. Or, la réglementation européenne ne spécifie aucune méthode de calcul pour cette dérive, ni aucun critère de dimensionnement de la zone tampon adapté aux parachutes.
ASTM F3322-18 : un outil utile, mais incomplet
La norme ASTM a le mérite d’avoir imposé une base objective de certification :temps de déploiement, vitesse résiduelle, énergie d’impact, fiabilité mécanique.
Mais elle ignore la dynamique aérologique réelle :
pas d’essai en vent fort ;
pas de mesure de dérive ;
pas de corrélation avec les zones tampon des STS européens.
Résultat : un système peut être “ASTM compliant” et pourtant non sécurisé en conditions réelles.
C’est pourquoi plusieurs experts européens plaident pour une mise à jour intégrant :
des essais en soufflerie ou en conditions ventées,
des modèles de dérive standardisés,
et une intégration directe dans la matrice de risque SORA ou PDRA.
Conclusion : entre texte et terrain
La sécurité effective ne réside ni uniquement dans le parachute, ni uniquement dans la réglementation. Elle réside dans la compréhension du risque réel par le télépilote et dans la logique opérationnelle adoptée :
Si le vol se déroule au-dessus d’une zone tampon parfaitement dégagée, la coupure moteurs peut s’avérer plus sûre et plus prévisible.
Si des tiers peuvent se trouver à proximité, le parachute reste indispensable, à condition de prévoir sa dérive dans le plan d’opération.
La question n’est donc pas “parachute ou pas”, mais :
“Sommes-nous capables de modéliser correctement ce qui se passe une fois le parachute déployé ?”
Tant que la norme ASTM F3322-18 ne prendra pas en compte les effets du vent et la dérive horizontale, la réponse restera incomplète.
Références
Règlement d’exécution (UE) 2019/947, Appendice I – STS-01.020
ASTM F3322-18 : Standard Specification for UAS Parachute Recovery Systems
DGAC – Guide de l’exploitant UAS en catégorie spécifique
Fiches techniques Dronavia – systèmes PRS pour DJI Mavic 3 Pro
Pour aller plus loin
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